Actualité IA

Vers des agents virtuels sociaux

June 24, 2021

Nicolas Sabouret

Professeur & Head of Graduate School of Computer Science à l'Université Paris-Saclay

Je ne sais pas si comme moi, vous faites partie de ces gens qui appellent leur boulangère par son prénom ou qui apprécient que le boucher ait pensé à garder un os à moëlle pour votre chien ? Les regards sympathiques, les quelques mots échangés sur les nouvelles du jour ou les petites blagues commerçantes sont autant de choses qui nous poussent à revenir chaque jour dans « cette boulangerie » plutôt qu’une autre. Ce qui me fait revenir c’est le lien que j’ai créé au fil du temps avec ma boulangère. Tout cela est avant tout une question de relation humaine !

Cette question de la relation sociale avec le client est devenue cruciale en interaction humain-machine, depuis que les machines sont devenues à la fois notre conseiller clientèle lors de nos achats, notre guide en voiture ou notre assistant personnel de poche. Pour développer le caractère social de nos machines, les chercheurs s’intéressent depuis le début des années 2000 au domaine de l’informatique affective (de l’anglais « affective computing ») [1]. Ils développent des algorithmes d’Intelligence Artificielle pour percevoir, raisonner et simuler des émotions ou, plus généralement, des comportements sociaux. Imaginez que votre conseiller bancaire virtuel soit capable de vous sourire, qu’il comprenne vos inquiétudes et vous rassure. Voilà les problématiques auxquelles nous essayons de répondre dans nos équipes de recherche.

Pour rendre les agents virtuels plus « humains », nous utilisons une gamme variée de méthodes d’intelligence artificielle, associées aux théories issues des sciences humaines et sociales. Par exemple, nous utilisons des algorithmes d’apprentissage automatique entrainés sur des vidéos de « vraies » personnes, afin de détecter des expressions du visage ou une altération de la voix qui expriment la joie, la tristesse ou la surprise. Ces méthodes de classification automatique s’inscrivent dans la lignée des récents progrès en Intelligence Artificielle : machine à vecteurs support, réseaux de neurones, classification non-supervisée… Le principe général reste le même : vous partez de vidéos ou d’images pour lesquelles vous indiquez à la machine les caractéristiques importantes (on parle de “features”). L’algorithme d’apprentissage automatique va généraliser les exemples que vous lui donnez pour deviner “au mieux” dans quelle catégorie l’image ou la vidéo que vous lui montrez doit être rangée. Après avoir des milliers de sourires, l’IA sera capable de distinguer une vidéo de Jim Carrey hilare au milieu d’un consortium d’économistes sur la crise financière de 1929.

À l’autre extrémité du spectre de l’Intelligence Artificielle, nous utilisons des méthodes à base de règles logiques pour permettre à nos agents virtuels d’adapter leurs comportements à l’état émotionnel de leur interlocuteur. Ces travaux s’appuient sur des modèles formels informatiques, ce que les informaticiens appellent les logiques d’émotions. En s’appuyant sur les recherches en psychologie, les informaticiens programment des règles de décision qui permettent à un agent de se comporter de manière plus réaliste. Par exemple, dans le cas d’un client mécontent, l’agent doit pouvoir identifier la cause du mécontentement, déterminer s’il est responsable ou non de la situation, comprendre s’il peut agir dessus, et calculer ainsi la meilleure réponse à apporter tout en restant dans un cadre professionnel [2].

À partir du résultat de ce calcul, le système est capable d’adopter des comportements “pro-sociaux”. Ces comportements, inspirés de la communication humaine, donnent ainsi l’impression à l’utilisateur que l’agent est plus agréable, plus intime, plus empathique… À travers des sourires, des regards, mais aussi une manière de s’exprimer, l’agent s’adapte aux émotions de son interlocuteur. Ainsi, lors de votre prochain entretien d’embauche, vous pourrez être coaché⋅e par l’un de nos agents virtuels qui vous aidera à mieux gérer votre stress et à faire la meilleure impression à votre futur employeur 😉 [3]

La recherche en informatique, en plus particulièrement en interaction humain-machine, s’est beaucoup intéressée à ces questions au cours des deux dernières décennies. L’utilisation des différentes techniques d’IA a permis de créer des agents qui sont plus sociaux. La nouvelle problématique qui émerge actuellement est de comprendre comment ces agents sont perçus et utilisés par le public. En effet, les avancées en IA qui nourrissent ces systèmes ne sont pas forcément en phase avec les attentes des utilisateurs ou avec la perception qu’en ont les gens dans leur utilisation quotidienne. Nous sommes encore loin du film “Her” de Spike Jonze !

Cette question de “l’expérience utilisateur” a été au cœur de travaux en collaboration entre l’entreprise DAVI et le laboratoire LISN de l’Université Paris-Saclay. Nous avons cherché à étudier comment l’expression de comportements sociaux chez l’agent, et plus particulièrement des comportements d’intimité, pouvaient favoriser l’adoption de la technologie par le grand public [4]. Nous avons conduit une étude auprès de visiteurs d’un office du tourisme auxquels nous avons proposé d’échanger avec une conseillère touristique virtuelle pour préparer leur séjour.

Nous avons montré que les visiteurs qui échangent avec un agent capable d’exprimer des comportements intimes l’ont perçue comme plus engagée dans l’interaction et ont eux-mêmes adopté une attitude plus sociale avec l’agent. Ces résultats montrent qu’en améliorant les comportements sociaux des agents virtuels, il est possible d’offrir une meilleure expérience aux utilisateurs, et donc de faciliter leur adoption. Finalement, c’est comme avec votre boulangère : la transaction ne se limite pas à l’achat d’un croissant au bon beurre de Bretagne. Pour satisfaire le client, la relation sociale est tout aussi importante !

Le marché des agents conversationnels est en plein essor [5] et il y a fort à parier qu’ils seront de plus en plus présents dans tous les aspects de notre vie quotidienne. Vous êtes certainement déjà tombé sur un conseiller virtuel en voulant contacter votre banque, votre assurance ou chez un commerçant en ligne ! Mais bientôt, vous les trouverez dans d’autres domaines comme le tourisme, le recrutement, l’éducation ou la santé. Il est donc crucial de comprendre dès maintenant les relations que nous construisons avec ces systèmes. Il n’est pas impossible que, d’ici quelques années, nous ayons tous notre assistant virtuel personnel. Mais nos agents ont encore un long chemin à parcourir pour acquérir les 12 formes d’intelligences proposées par Howard Gardner [6].

- [1] R. Picard. Affective computing. MIT press, 2000.

- [2] A. Yacoubi. Vers des agents conversationnels capables de réguler leurs émotions : un modèle informatique des tendances à l’action. Thèse soutenue 14 novembre 2019 à l’Université Paris-Saclay.

- [3] K. Anderson, E. André, T. Baur, S. Bernardini, M. Chollet, E. Chryssafidou, I. Damian, C. Ennis, A. Egges, P. Gebhard, H. Jones, M. Ochs, C. Pelachaud, K. Porayska-Pomsta, P. Rizzo, N. Sabouret. The TARDIS framework: intelligent virtual agents for social coaching in job interviews, In Proc. Advances in Computer Entertainment (ACE 2013), LNCS 8253, pp. 476–491, Springer-Verlag, 2013.

- [4] Potdevin, D., Clavel, C., & Sabouret, N. A virtual tourist counselor expressing intimacy behaviors: A new perspective to create emotion in visitors and offer them a better user experience?. International Journal of Human-Computer Studies, 150, 102612, 2021.

- [5] Emerging Technologies and Trends Impact radar, Gartner, 2021. https://www.gartner.com/smarterwithgartner/4-impactful-technologies-from-the-gartner-emerging-technologies-and-trends-impact-radar-for-2021/?source=BLD-200123&utm_medium=social&utm_source=bambu&utm_campaign=SM_GB_YOY_GTR_SOC_BU1_SM-BA-SWG

- [6] H. Gardner. The theory of multiple intelligences. Heinemann, 1983.

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